Thèse

Scénarios d’aveuglement dans la littérature d’Orhan Pamuk, d’Ernesto Sábato et de José Saramago analyse trois œuvres importantes de trois auteurs contemporains : Mon nom est Rouge d’Orhan Pamuk ; « Rapport sur les aveugles » du roman Héros et tombes d’Ernesto Sábato ; et L’aveuglement de José Saramago. Malgré leurs différences, ces romans ont des points communs évidents, synthétisés dans la figure de l’aveuglement. Cette figure signale l’avènement, dans les textes, d’un régime de connaissance alternatif, centré moins sur le primat de la raison et du visuel que sur une nouvelle capacité cognitive, basée sur une logique spéciale du destin. L’aveuglement s’ouvre également sur une nouvelle compréhension de l’histoire, grâce à une capacité du récit de fiction qui passe par le point de fuite de la cécité.
Pour Pamuk, l’aveuglement est le couronnement paradoxal d’une vision du monde, gravement mise en crise à la fin du XVIe siècle par le perspectivisme et le réalisme de la Renaissance, la voie d’entrée vers un monde imaginal qui n’est plus accessible à l’imaginaire occidental. Pour Sábato, il représente la variante renversée d’une quête de l’absolu qui passe par les antres de l’inceste, de l’enfer et du crime, tandis que le monde décrit par Saramago est un monde qui sombre sur la pente de la déchéance, en suivant une logique implacable. Il est l’équivalent de plusieurs formes de cécité qui menacent le monde contemporain, comme le fondamentalisme religieux, l’homogénéité préconisée par la société de masse, l’exclusion raciale, l’oppression idéologique.

La thèse se divise en trois parties, La violente beauté du monde, Un mythe hérétique de la caverne et Une épidémie de cause inconnue, chacune d’entre elles analysant l’œuvre d’un auteur, mais établissant également des liens avec les autres chapitres. L’approche adoptée est interdisciplinaire, un croisement entre études littéraires, philosophie et histoire de l’art.

Dans leur quête de nouveaux concepts et de nouvelles formes de pensée qui s’écartent du modèle rationnel dominant de la modernité, les trois auteurs partent de la présupposition que regarder les choses n’est pas du tout l’équivalent de voir les choses. Ils tentent d’articuler une logique du voir qui ressemble plutôt à la vision et à la clairvoyance qu’à la conformité logique. La figure de l’aveuglement sert de tremplin vers le monde imaginal (Pamuk), la pensée magique (Sábato) et la vision dystopique (Saramago) – des espaces ontologiquement différents où les auteurs mènent leurs attaques contre la rationnalité à tout prix. C’est précisément ces espaces que nous avons choisi d’explorer dans les trois romans. Nous soutenons également que ces trois textes proposent un nouveau régime de « connaissance » qui met en question les règles de pensée héritées de la Renaissance et surtout des Lumières, qui constituent un discours dominant dans la culture visuelle et philosophique moderne.

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Abstract

Blindness in the Literature of Orhan Pamuk, Ernesto Sábato, José Saramago examines three important texts by three well-known contemporary authors: My Name is Red by Orhan Pamuk; the chapter «Report on the Blind» from the novel On Heroes and Tombs by Ernesto Sábato; and Blindness by José Saramago. The trope of blindness is a common theme in these novels, despite their significant differences. Blindness introduces an alternative regime of knowledge, centered less on the primacy of the rational and the visual than on a new cognitive capacity, grounded in a specific logic of destiny. It proposes new understandings of history, due to a fictionalizing capacity, which passes through the fault lines of blindness.

For Pamuk, blindness represents the paradoxical culmination of a traditional, Islamic world view, which was challenged in the 16th century by the perspectivism and the realism of Renaissance. This conception is regarded as the royal road to an imaginal world that remains inaccessible to the western imaginary. In Sábato’s novel, blindness prompts the reversed version of a quest for absolute, which passes through incest, hell and crime. In the dystopic world depicted by Saramago, this trope is symptomatic of a continuous decay, which follows an implacable logic. It also points to the many forms of blindness that threaten the contemporary world, such as religious fundamentalism, the leveling produced by mass culture and mass society, racial exclusion, ideological oppression.

The thesis is divided in three chapters: The Violent Beauty of the World, A Heretical Myth of the Cave and An Epidemic with an Unknown Reason. Each chapter examines one of the three novels, but connections and cross-links among the individual chapters are also established. My investigation provides an interdisciplinary approach, which relies on paradigms from literary studies, philosophy and art history.

All three authors examined in the dissertation start from the assumption that looking is not equivalent to seeing. Their texts attempt to formulate a logic of seeing indebted to vision rather than to logical accuracy. The figure of blindness serves as a springboard towards the imaginal world (Pamuk), magical thought (Sábato) and dystopia (Saramago) – ontologically different spaces where the authors counter rationality with new modes of vision. The dissertation explores the articulation of these spaces in the three novels. It argues that these texts on blindness propose a regime of «knowledge» that challenges the dominant discourses on vision, rationality, and the mind – the legacy of the Renaissance and the Enlightenment – in modern visual culture and modern philosophy.

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